Polina

Bastien Vivès

Casterman

  • Conseillé par
    26 février 2012

    Je ne m'attendais pas à une bande-dessinée aussi épaisse (il faut dire que je n'avais pas regardé le nombre de page avant). Pourtant, j'ai littéralement dévoré cette histoire en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

    Dessin minimaliste tout en nuance de gris, peu de dialogues, beaucoup d'expression corporelle, un dessin très sensuel. Je suis tombée sous le charme, malgré mon peu d'attrait pour ce graphisme noir-et-blanc.

    Une ballerine qui sait ce qu'elle veut et qui dit ce qu'elle pense. Mais un destin bien étrange pour cette petite fille douée.

    Une histoire qui m'a fait fondre (ce qui n'était jamais arrivé avec une bande-dessinée), mais la danse et moi, n'est-ce pas...

    Un livre que je vais garder précieusement.

    L'image que je retiendrai :

    Il y en a tellement qui me plaisent. Faisons un choix : la dernière, celle de Polina à Paris, regardant une vidéo envoyée par son professeur.

    http://motamots.canalblog.com/archives/2012/01/25/23158158.html


  • Conseillé par
    28 avril 2011

    Roman graphique de Bastien Vivès.

    Polina Oulinov entre très jeune à l'académie de danse Bojinski. Le professeur Bojinski règne avec exigence et fermeté sur les grandes es et les admissions. "Si vous n'êtes pas souple à 6 ans, vous le serez encore moins à 16 ans. La souplesse et la grâce ne s'apprenent pas. C'est un don." (p. 17) Il remarque immédiatement Polina qui est une élève brillante. La jeune ballerine danse avec les es supérieures et bénéficie de cours particuliers avec le maître. Elle entre au théâtre de Russie, mais continue à travailler avec Bojinski qui lui offre de danser un solo qu'il a écrit et n'a jamais présenté. Mais Polina grandit et cherche à échapper à l'emprise de son mentor. Elle quitte le théâtre avec son petit ami Adrian et rejoint la troupe de Mikhaïl Laptar, un chorégraphe contemporain, qui lui fait découvrir une nouvelle façon d'exprimer et de vivre la danse. Un professeur du théâtre lui avait lancé : "Je ne devrais pas te le dire, Polina, mais tu as du génie. Voilà. Mais le problème c'est que tu ne sais pas quoi en faire." (p. 81) Finalement, c'est en quittant les institutions que Polina se réalisera en tant que danseuse et comprendra enfin les préceptes de Bojinski.


    Polina travaille beaucoup et avec acharnement. "Un artiste est en permanence insatisfait car il recherche une certaine perfection." (p. 68) Suivant cette maxime et méprisant la fatigue et la douleur, elle cherche à satisfaire les exigences de Bojinskiqui lui répète à l'envi"Ne me faites pas regretter." Si elle se plie d'abord physiquement et machinalement aux demandes du professeur, Polinafinit par briser le lien figé qui la rattache à son mentor pour en tisser un nouveau avec les fils du respect. Cheminement intime et apprentissage de la liberté, cet album ne s'embarasse pas de grandes phrases pour communiquer l'émotion. Polina gagne ses galons avec humilité : même si elle sait qu'elle mérite l'admiration, elle n'oublie pas qu'elle a été une enfant à qui un professeur hors du commun a tout appris.

    Le professeur Bojinski est un personnage imposant : grand, les bras souvent croisés, on l'imagine avec une voix grave et coupante. Pour lui, "la danse est un art. Il ne s'apprend pas." (p. 31) Loin d'enseigner la danse, il exige de ses élèves qu'ils se dévouent tout entier à cet art. Ses phrases tombent comme des couperets et n'admettent aucune réplique. "Les gens ne doivent rien voir d'autre que l'émotion que vous devez faire passer. [...] Si vous ne leur montrez pas la grâce et la légèreté, ils ne verront que l'effort et la difficulté." (p. 37) Dissimulés par des lunettes qui font écran, on ne croise jamais ses yeux. Son regard qu'il pose sur les élèves est aussi pétrifiant que celui de Méduse. Dans ses lunettes, la danseuse voit son propre reflet et toutes ses imperfections démultipliées. En une case, le seul vrai portrait de lui et de ses yeux présente un homme aux cheveux blancs et au regard ridé, un homme dépassé qui admire la meilleure danseuse de sa carrière. Pour avoir dansé pendant quinze ans, je sais la valeur d'un regard appréciatif et d'un demi sourire et je connais l'accablement devant les pas qui se détournent et la main qui claque sur la barre. En quelques traits, Bojinski est une illustration fidèle et poignante des grands professeurs de danse dont la passion n'a d'égale que l'espoir de trouver une perle rare.

    L'image est en noir, blanc et gris. On est très loin du rose des tutus et des paillettes. Ici, la danse est une introspection intransigeante qui nécessite une concentration et une disponibilité pleine et entière. Je suis subjuguée par le talent de Bastien Vivès qui sait rendre en quelques coups de pinceau la beauté des pas de danse et des enchaînement. À tourner les pages de son oeuvre, j'ai envie de courir au ballet ou, pire, de remonter sur la scène, pas pour y briller mais pour vivre toute l'absolue splendeur de Terpsichore.

    Nul besoin d'être amateur de danse pour apprécier cet album, mais il faut aimer le mouvement : Polina est élancement et tourbillon. On ressort troublé de tant de grâce.