Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Comment réussir son exil en trente-cinq leçons

Gallimard

17,00
Conseillé par (Libraire)
17 juin 2016

Exilé

Quand Velibor Čolić, ou du moins son narrateur, arrive de Bosnie à Rennes à la fin 1992, on lui demande de décrire son "projet en France". La personne qui le reçoit se méprend : "quel concours ? Je ne comprends pas..." Lui sait pourtant bien que ce qu'il veut c'est "le Goncourt"... Dès les premières pages, le narrateur nous prévient :
"Devant les hommes et les femmes.
Devant les sages et les fous, auprès des arbres et des herbes.
En ville comme à la compagne.
Je suis suis le réfugié.
Sur la terre comme au ciel".
Un homme pas comme nous, un homme déconsidéré, qui "se retrouve illettré alors qu'il est écrivain". Terrible !
Le réfugié, l'exilé abandonne tout. Il se défait de sa langue, de sa fierté, de sa discipline de vie -mangeant n'importe comment, il grossit puis maigrit, sa dignité -il s'habille de nippes chez Emmaüs, sa mémoire - il boit, parfois beaucoup, pour oublier. Il souffre, il tente d'oublier sa misère, il déraisonne, même. Et pour supporter la noirceur de sa vie, il recourt à l'humour, d'où ces trente-cinq chapitres qui sont autant de leçons pour réussir son exil.
Un récit noir, évidemment, mais ironique et teinté d'humour et de dérision, qui, par sa grande qualité littéraire, nous fait entrer dans la peau d'un exilé.

Conseillé par (Libraire)
16 juin 2016

Ce récit raconte une tranche de vie dans une ville balnéaire de la Corée du Sud proche de la frontière. L'histoire est simple : une jeune femme de Sokcho rencontre un auteur de BD qui puise son inspiration dans les pays au sein desquels il séjourne quelques semaines. C'est la rencontre de deux sensibilités et de deux cultures. La jeune femme, fille d'un français, aime la France et est attirée par Kerrand, le dessinateur venu chercher le calme dans ce lieu. Quelque chose se noue entre eux deux, une compréhension, une complicité ténue et fragile.
Le récit s'ancre dans la description de l'hiver à Sokcho, du calme de la ville qui semble en déclin, des canalisations qui s'éventrent, du poisson que l'on cuisine, de la nourriture qui tient une place importante dans ce texte. De même que le souci des corps, de l'esthétique.
L'écriture peut sembler plate, mais non. Elle est riche de plein de petites notations qui décrivent les relations, le mode de vie, la culture, créant une atmosphère originale et exotique. Elle montre un monde lointain, une autre vie. Elle montre aussi le dessinateur dans sa démarche de création.
Un premier roman accrocheur, beau et touchant, au style élégant.

Conseillé par (Libraire)
5 juin 2016

Sur un coup de cœur, Merlin et Prune ont acheté une maison en campagne dans laquelle les travaux à faire excèdent sans doute leurs capacités financières. Merlin est l'auteur d'une série de bandes dessinées qui rencontre un franc succès, Wild Oregon est "une utopie maussade ou une dystopie joyeuse" selon comment on voit la vie; Le héros, Jim Oregon ressemble fort à Laurent, le meilleur ami de Merlin, comme d'autres personnages ressemblent à des personnes de l'entourage du dessinateur. Aquarelliste, Merlin peut passer des journées entières a peindre les planches de la Grande encyclopédie des Oiseaux d'Europe.
Mais Laurent décède en léguant à Merlin sa collection de deux cents bouteilles de whisky et en lui demandant de faire rencontrer un grand amour à son personnage de BD. Il faudra qu'il lui soit fidèle -précisons ici que Laurent n'a pas été un exemple de fidélité en amour- et qu'ensuite, Merlin achève la vie de Jim Oregon. Merlin doit donc envisager deux impossibles : trouver un grand amour de Jim Oregon qui soit digne de Laurent, achever sa série...
Avec ce roman, Marie-Sabine Roger nous fait toucher du doigt la réalité de l'écrivain dont l'imagination travaille à faire vivre des personnages qui mènent leur vie indépendamment de la volonté de leur auteur. Elle montre que l'univers romanesque des auteurs s'inspire de la réalité qu'ils côtoient ou qu'ils vivent.
Dans le roman, on passe sans cesse de la vie réelle de Merlin et de toute une tribu de personnages truculents à celle des personnages de BD qu'il dessine.
De Marie-Sabine Roger, j'en étais resté à ses romans pour adolescents Attention fragiles et Le Quatrième soupirail qui abordaient des sujets graves, inquiétants et dramatiques. Des romans qui témoignaient d'une capacité d'attention au tragique de la vie humaine. Ce roman est plutôt drôle et divertissant, plein de poésie et d'humour, même dans les commentaires fort pertinents sur la création artistique. J'ai aimé la description juste et sensible d'une belle amitié, les personnages hauts en couleurs, l'inventivité de l'auteure, cet incessant va-et-vient entre deux mondes..
C'est un roman très réussi !

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2016

Passionnant et inquiétant

Nous avons abdiqué de nos libertés et de notre intimité pour notre sécurité.
C'est le constat des auteurs de cet essai qui démontre que la puissance des Gafa et supérieure à celle des États. Les géants du numérique sont devenus les rois du monde. Gourmands en collectes de données -ils possèdent 80% des données disponibles- ils connaissent tout de nos habitudes de vie, de notre consommation, des destinations de nos voyages de travail et de loisirs, de nos orientations politiques et sexuelles. Facebook, grâce à Atlas, le logiciel de tracking acheté à Microsoft, piste en continu et chaque jour 1,4 milliard d'humains sur Internet.Dans cette énorme masse de données, il y aura toujours un algorithme capable de repérer une information intéressante, échangeable contre de l'argent ou utilisable à des fins politiques ou sociales.
Les entreprises du Big Data ont établi une connivence avec les service renseignement. A chaque attentat, les États leur demandent plus de moyens de contrôle. Ils leur ont délégué "l'exploitation, le stockage et le raffinement des gisements numériques", et ont ainsi contribué à leur richesse financière. Pourtant, il est désormais patent que le contrôle numérique agit à posteriori alors que des agents humains judicieusement employés seraient plus efficaces pour lutter contre le terrorisme.
L'idéologie des sociétés du numérique est le libertarisme, un ultra-libéralisme extrême qui fait de l'État-Providence l'ennemi suprême, qui prône l'individualisme, qui estime qu'on doit pouvoir tout acheter et tout vendre sans limité réglementaire. Les libertariens vivent dans la démesure, veulent repousser les limites de la mort et fabriquer un homme nouveau qui serait hybrider avec la machine numérique, des "transhumains".
A terme, l'élite ultra-riche concentrera tous les pouvoirs grâce au numérique, décidera de ce qui lui semble bon pour l'humanité, profitera des progrès de l'intelligence artificielle pour se maintenir en bonne santé, etc.
Et il y aura le reste de la population, environ 80% qui, après une période de chômage technologique, sera dans un chômage total. Pour ces sans-emploi, les entreprises du numérique envisagent un revenu universel qui leur permettra de vivre en faisant ce que bon leur semble.
Les sollicitations numériques de plus en plus incessantes vont habituer nos cerveaux à papillonner, vont distraire notre attention jusqu'à ce que nous ne soyons plus capables de penser, de réfléchir. Or ce qui nous constitue comme humains, c'est cette capacité de penser, d'anticiper, c'est la conscience, les idées, la créativité, les rêves, la connaissance que l'on construit, certes, en l'extrayant de l'information.
Tout ce que les géants du numérique n'aiment pas, qui nous rend imprévisibles. La dictature du numérique s'applique à nous rendre prévisibles, semblables, indistincts. Elle entend être notre Big Mother, celle qui prend soin de nous...
Un essai passionnant, mais inquiétant...

nouvelles

Albin Michel

22,00
Conseillé par (Libraire)
18 mai 2016

Sept nouvelles dans lesquelles Stuart Nadler raconte un fragment de la vie de quelques personnes du judaïsme contemporain d'Amérique. Chaque nouvelle explore une situation où un personnage masculin qui a commis une faute, une tromperie, un abandon, n'arrive pas à s'en défaire et traîne toute sa vie le regret de son erreur. Il y a cette jeune fille qui provoque le meilleur ami de son père pour le faire chanter. Il y a ce fils étudiant que son père retrouve et qui lui reproche sa passivité en apprenant que ses parents se séparent. Il y a cette femme qui cède à son amie en poussant son compagnon, un artiste qui peint des nus, dans les bras d'une femme qui lui ressemble, pour voir s'il résistera à la tentation. Il y a ces deux frères qui se rejoignent après la mort de leur parents pour vider la maison, et qui se cherchent une relation pacifiée. Il y a ce petit-fils qui vient au secours de son grand-père que l'on va expulser et qui réalise que son amour de jeunesse continue de l'aimer.
Dans ses descriptions, l'auteur place des interrogations métaphysiques, des réflexions sur la pratique religieuse. Il sait mettre en évidence ce qui dérange, ce qui fait mal à voir.
Ce sont des vies comme il y en a tant, marquées par des conflits, des tromperies, des infidélités, des suspicions, qui sont décrites avec une rare finesse psychologique et d'écriture. Tous ces hommes, surtout eux, sont artistes, hommes d'affaire, professeurs, rabbin, et n'ont pas de problèmes matériels. Pourtant, ils n'ont pas trouvé le bonheur dans leurs vies, et n'ont pas la force de tout remettre en cause pour le trouver. Alors, ils traînent le poids de leurs échecs et de leurs erreurs.
A la lecture de ces vies peu brillantes, on réfléchit à ce qui fait et défait une vie de de famille, on se dit que la vie heureuse demande de la détermination et de la fidélité à l'idée que l'on se fait de son chemin.
Un recueil brillant, profond et chargé d'émotion.