Le silence ne sera qu'un souvenir

Laurence Vilaine

Actes Sud

  • 19 décembre 2014

    J'ai lu ce roman dès sa parution chez Gaïa en Août 2011 et relu cet été lors de sa sortie en format poche chez Actes Sud. L'émotion était tellement grande en le refermant qu'il m'était difficile d'ajouter mes propres mots sur ce texte sublime...

    Le vieux Miklus raconte la vie de son peuple à un journaliste lors de la commémoration de la chute du mur de Berlin. Vieux tsigane, originaire de l'Europe de l'Est, il s'en veut de garder le silence. Alors, il relate le destin de la communauté Rom marquée par la persécution depuis la nuit des temps.Celle installée du mauvais côté , sur une rive du Danube,dans le camp slovaque de Supava, là où parfois l'odeur de vase et d'eau tiède donnent la nausée.

    "Voyez, pour la fin heureuse de l'histoire, ça sent le roussi. Mais si vous voulez que votre reportage sonne juste, c'est dans ce sens qu'il faut aller. Jetez-y des relents de salpêtre et des effluves d'alcool à brûler, vous serez pile-poil dans la vérité."

    Miklus constate le poids de l'Histoire et le poids du passé comme seuls héritages dès la naissance. La tragédie de l'histoire se perpétue, le sort s'acharne et les histoires se répètent.

    "Pas encore rayé de la carte, le Rom, il tient bon, disons qu'il tient comme il peut, balloté d'un courant d'air à un autre, le vent s'engouffre partout où il pointe son nez. Il n'est attendu nulle part, vous le savez bien, on le refile à son voisin; à peine a-t-il posé sa famille qu'on le fait déguerpir, et on l'accuse de ne pas tenir en place."

    Quand on voit la boue dans laquelle ils pataugent, nous n'avons guère d'illusions pour demain. Les Roms crient et ne reçoivent que l'écho de leurs propres plaintes.

    Laurence Vilaine distille le "je" sous les traits de Miklus et soulève la colère sous-jacente par le prisme de cette galerie des personnages. Tous portent un surnom ( Dilino l'enfant au violon, la vieille Chnepki, Lubko le sculpteur de marionnettes, Maruska...)comme pour mieux mimer le déplacement de l'identité quand l'histoire se répète au cours de l'Histoire.Tradition identitaire car les tsiganes ne sont pas seulement des fils du vent, ils ont leurs coutumes et une identité singulière,longtemps bafouées et mises à mal.

    La communauté Rom apparaît sous la plume de Laurence Vilaine comme un peuple dont on ne peut dissocier des événements tragiques qui ponctuent leur destinée: des persécutions lors du Samadarupen (déportement des tsiganes, "zigeneur" sous la deuxième guerre mondiale, marqués par la lettre Z dans un triangle noir), brimades quotidiennes, stérilisation forcée des femmes. Autrefois les Nazis oeuvraient, personnifiés par Igor dans le texte. Aujourd'hui ce sont les paumés qui perpétuent les gestes.
    Plusieurs temporalités textuelles expriment la permanence du tragique chez ce peuple.La vie de plusieurs générations s'est envolée dans la fumée épaisse des cabanes en cendres car l'expulsion est une méthode qui n'a pas encore été rangée dans les cartons.

    Quelle direction prendre, peut-on déjouer le tracé de sa destinée? Le Rom est finalement devenu citoyen européen, certes, une aubaine à ce qu'il paraît, une sorte de permis d'exister. A utiliser de préférence chez le voisin, il n'y a plus de frontière, ça tombe bien.

    Beauté tragique, boue et poussière, danses et légèreté sous la plume musicale de Laurence Vilaine comme un éloge au peuple du vent,à la manière du violon dans le roman, omniprésent.Loin d'un plaidoyer, ce roman interpelle et hante votre mémoire très longtemps.


  • 18 novembre 2014

    Le vieux Miklus raconte la vie de son peuple à un journaliste lors de la commémoration de la chute du mur de Berlin. Vieux tsigane, originaire de l'Europe de l'Est, il s'en veut de garder le silence. Alors, il relate le destin de la communauté Rom marquée par la persécution depuis la nuit des temps.Celle installée du mauvais côté , sur une rive du Danube,dans le camp slovaque de Supava, là où parfois l'odeur de vase et d'eau tiède donnent la nausée.

    "Voyez, pour la fin heureuse de l'histoire, ça sent le roussi. Mais si vous voulez que votre reportage sonne juste, c'est dans ce sens qu'il faut aller. Jetez-y des relents de salpêtre et des effluves d'alcool à brûler, vous serez pile-poil dans la vérité."

    Miklus constate le poids de l'Histoire et le poids du passé comme seuls héritages dès la naissance. La tragédie de l'histoire se perpétue, le sort s'acharne et les histoires se répètent.

    "Pas encore rayé de la carte, le Rom, il tient bon, disons qu'il tient comme il peut, balloté d'un courant d'air à un autre, le vent s'engouffre partout où il pointe son nez. Il n'est attendu nulle part, vous le savez bien, on le refile à son voisin; à peine a-t-il posé sa famille qu'on le fait déguerpir, et on l'accuse de ne pas tenir en place."

    Quand on voit la boue dans laquelle ils pataugent, nous n'avons guère d'illusions pour demain. Les Roms crient et ne reçoivent que l'écho de leurs propres plaintes.

    Laurence Vilaine distille le "je" sous les traits de Miklus et soulève la colère sous-jacente par le prisme de cette galerie des personnages. Tous portent un surnom ( Dilino l'enfant au violon, la vieille Chnepki, Lubko le sculpteur de marionnettes, Maruska...)comme pour mieux mimer le déplacement de l'identité quand l'histoire se répète au cours de l'Histoire.Tradition identitaire car les tsiganes ne sont pas seulement des fils du vent, ils ont leurs coutumes et une identité singulière,longtemps bafouées et mises à mal.

    La communauté Rom apparaît sous la plume de Laurence Vilaine comme un peuple dont on ne peut dissocier des événements tragiques qui ponctuent leur destinée: des persécutions lors du Samadarupen (déportement des tsiganes, "zigeneur" sous la deuxième guerre mondiale, marqués par la lettre Z dans un triangle noir), brimades quotidiennes, stérilisation forcée des femmes. Autrefois les Nazis oeuvraient, personnifiés par Igor dans le texte. Aujourd'hui ce sont les paumés qui perpétuent les gestes.
    Plusieurs temporalités textuelles expriment la permanence du tragique chez ce peuple.La vie de plusieurs générations s'est envolée dans la fumée épaisse des cabanes en cendres car l'expulsion est une méthode qui n'a pas encore été rangée dans les cartons.

    Quelle direction prendre, peut-on déjouer le tracé de sa destinée? Le Rom est finalement devenu citoyen européen, certes, une aubaine à ce qu'il paraît, une sorte de permis d'exister. A utiliser de préférence chez le voisin, il n'y a plus de frontière, ça tombe bien.

    Beauté tragique, boue et poussière, danses et légèreté sous la plume musicale de Laurence Vilaine comme un éloge au peuple du vent,à la manière du violon dans le roman, omniprésent.Loin d'un plaidoyer, ce roman interpelle et hante votre mémoire très longtemps.