Pucelle, 1, Débutante, Tome 1

Florence Dupré la Tour

Dargaud

  • Conseillé par (Libraire)
    19 août 2020

    Amusant et percutant

    Avec « Extases » Jean-Louis Tripp a osé rompre un tabou, celui de parler et de dessiner la sexualité masculine dès les premiers émois. Zep l’avait précédé avec son universel Zizi Textuel mais dans un contexte plus enfantin et didactique. Avec le premier tome de Pucelle, justement sous titrée La débutante, Florence Dupré la Tour, oscille entre les deux ouvrages qui l’ont précédé. Comme Tripp, il s’agit là d’un récit totalement personnel et autobiographique mais il concerne l’enfance et s’achèvera avec le tome 2 à l’âge de 18 ans.

    « La chose » et « Ca ne doit pas être dit » sont les deux préceptes qui vont diriger les premiers pas de Florence dans cet univers de la sexualité. Il faut dire, et elle ne mâche pas ses mots, ni ses dessins, que sa famille relève de la plus pure tradition chrétienne, bourgeoise et rétrograde. A force d’utiliser le silence, de cacher les vrais mots derrière d’hallucinantes périphrases, la petite fille va se constituer un monde de fantasmes et d’imaginaire totalement terrifiant. « Quand on ne sait rien, on imagine tout, et surtout le pire ». Tout n’est que faux semblants, baignant la vie familiale à Buenos Aires dans un halo d’images familiales proches d’une iconographie religieuse. Florence au jardin d’enfant, Florence à la prière, Florence à la piscine, qui ne sont pas loin de ressembler aux lénifiants « Martine », dont la lecture a bercé tant de petites filles. Dans le domaine de Nagot, près de Troyes, ou en Guadeloupe, cette vie fictive qu’impose la mère, alors que le père grotesquement dessiné exerce une autorité sans partage basée sur des ordres sans le moindre sens mais porteurs de domination, va se transformer peu à peu en véritable traumatisme qu’accentuera la venue de premières règles.
    L’autrice y va franco, violente avec son milieu social, avec sa famille, elle n’épargne ni par le dessin, ni par le texte, l’univers dans lequel elle a grandi, celui où on est entouré de « barbares incultes », quand le « entre nous » devient racisme. Il y a du Reiser dans la manière de dessiner un coït canin, pour ne pas dire clairement « la chose » ou dans une pleine page, à la manière d’une couverture de Charlie hebdo, d’imaginer une mère hurlante demandant « Qui a laissé une culotte souillée dans le panier à linge? ». Florence crie sa colère devant cette société patriarcale dont on a envie de rire la médiocrité, la bêtise mais elle exprime bouche grande ouverte, crayon tremblant, une énorme souffrance qui arrive jusqu’à nos oreilles, avec ou sans typographie particulière. Elle ne suscite en apparence aucune empathie n’hésitant pas à se dessiner comme une petite fille moche, arrogante, mais le lecteur n’a pourtant pas envie de l’abandonner à son triste sort. Il a envie de la prendre par la main, de lui expliquer la vie, de lui montrer que la sexualité peut être belle, que la femme n’est pas faite uniquement pour procréer.

    Sur la dernière page de l’album une photo sépia montre Florence en compagnie de sa soeur, deux enfants déguisés en ange, ailes dans le dos, mains jointes. Un clin d’oeil ironique qui résonne comme un doigt d’honneur à cette éducation ratée et porteuse de souffrance.

    Eric